N’obscurcissez pas votre expression sous prétexte de la rendre profonde

Une œuvre qui a besoin d’un texte d’explication pour être comprise est un échec, une œuvre doit se suffire à elle-même.

La lumière ne se fait que sur les tombes

La nouveauté n’est pas un critère pertinent. Personne n’a probablement jamais peint avec des têtes de chatons morts et pour cause, ce n’est pas pratique et ça n’apporte rien à l’œuvre. Un public qui aime la nouveauté comme fin en soi n’est qu’enfant du marketing. Ce reflexe de consommateur anxieux de se jeter sur la nouveauté.

Ne comprenant pas, je subis

Quand on ne comprend pas, on demande. Si on ne comprend toujours pas, ou bien on est stupide, ou bien il n’y a rien à comprendre.

Il existe pourtant un public en art contemporain qui accepte docilement l’idée qu’il n’est pas assez éduqué ou subtil pour comprendre l’Himalayesque polysémie d’un monochrome accroché au mur d’un musée.

Ce même public doit se dire que tel objet placé ici et si ridiculement cher doit bien avoir de la valeur. C’est le reflexe des sots devant une autorité, d’abord de ne pas remettre en cause cette autorité (c’est un musée, une galerie, ils doivent savoir ce qu’ils font, idem pour le marché), et mécaniquement de la croire supérieure à son propre jugement (bien sûr je trouve ça nul mais je dois me tromper sinon cette œuvre ne serait pas dans un musée). Quand on ne pense pas par soi-même, on ne pense pas du tout ; et on est mûr pour toute sorte de dictature.

Comment ne pas avoir de mépris pour qui se croit trop bête pour comprendre, s’arrête à cette idée et pousse l’indignité jusqu’à imiter d’autres sots en prenant la pose de celui qui a finement compris. Peur du ridicule, vanité d’imbécile. Et préférer cent fois qui cherche à comprendre au mystificateur ignorant.

 Entendu au MOMA : un enfant ne veut pas prendre en photo Les demoiselles d’Avignon… « c’est moche ! » Sa mère : « on ne dit pas c’est moche, on dit je n’aime pas. »

Apprendre à tordre le cou à ce que l’on sent pour vrai, c’est surement ainsi que l’on devient adulte et qu’on fait vivre les psys.

 Une citation de Condorcet à l’Assemblée en 1792 pour la route :

 «  Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, le genre humain restera partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves.»

Je ne cherche pas, je trouve

Il existe des artistes qui exposent leurs travaux sur le vide et le rien, leur exploration du mauve et du mouvant ou revisitent l’espace machin truc. Toutefois, il est absolument possible que des recherches complexes, raffinées et sincères puissent ne mener à rien. Les poubelles de l’Histoire ne désemplissent pas.

 Quand on n’a rien trouvé de pertinent, il faudrait pourtant avoir la patience de chercher encore ou la pudeur de ne rien exposer. Ou sinon faire une grande kermesse avec des dessins d’enfants qui un jour seront certainement des artistes. Si la démarche compte plus que l’œuvre, faire un blog avec des photos et des gens qui likent.

Utiliser un medium à tout prix

Un peintre qui voudrait parler de philosophie devrait écrire un livre, d’où vient cette fantaisie d’utiliser un médium mal adapté pour s’exprimer sous prétexte qu’on maitrise spécialement telle technique ? Qui voudrait entendre le point de vue contorsionné d’un menuisier qui ramènerait tout sujet à des clous ?

 Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. Que la complexité du corps humain impose aux médecins de se soumettre à sa logique pour guérir des vivants, cela est bel et bon… mais quoi de plus humiliant pour un auteur comme pour son public que d’encoder déchiffrer un langage incompréhensible qui détruit toute élégance du message? Vous trouvez cette phrase incompréhensible ? C’est de l’art, vous ne comprenez rien.

 Quand je passe devant un monochrome, je n’y porte pas plus d’attention que devant une porte de placard, monochrome ou non. Si cette toile est un support de réflexion, que l’auteur écrive un livre sur cette réflexion.

Le culte de la spontanéité et du moi

Le culte de la spontanéité comme produit de la liberté d’expression libérée de tout processus réfléchi  de création d’une œuvre qui fasse sens revient à réifier un auteur qui produirait continûment et naturellement de l’art du matin au soir sans y penser.

 C’est exactement du fanatisme pour groupies. Un produit de son époque, du consumérisme de masse : l’artiste devient une marque comme Nike ou Adidas, on achète sans regarder. On arrive à un art narcissique et des produits aussi insignifiants que les nombrils des autres.

 C’est toutefois pratique, on gagne du temps en analyse : plus la signature est grosse, plus l’œuvre est mauvaise, généralement.

Les graphistes qui ne prétendent pas à l’art adjoignent fréquemment à leurs petits dessins une signature travaillée et identifiable. Grande comme le bras, comme si l’expression du moi-si-particulier était le propos principal. Nike, je vous dis, des enfants du marketing. Quant aux graffeurs, leur signature seule, répétée sur les murs. Moi, le monde doit savoir. Enfin, ce n’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut l’afficher ?

Le truc rigolo

L’artiste contemporain n’a rien à voir avec la pub, c’est un être écorché, sensible et vrai, en lutte contre le système. S’il conteste la société de consommation lors d’installations burlesques financées par des groupes cotés en bourse, il utilise en revanche les mêmes ressorts de la communication. Les stratégies collectives d’individualisation (vous êtes exceptionnel et c’est à vous que je parle), la provocation à coup de femme à poil (c’est tellement subversif au XXIème siècle), les clins d’œil aux valeurs de consommation (c’est tellement pop) ou la blaguounette à coup de coude, jeu de mots pourri offert.

Parfois on tombe sur de l’insignifiance tellement pure qu’on touche au sublime, comme cet artiste qui remplissait des fissures de murs avec des briques de Lego.

Jouir sans entrave

C’est décalé, ludique et plein d’astuce comme une publicité, pas de sens mais un bénéfice pour le consommateur. Tout dans l’émotion,  réfléchir, c’est déjà désobéir. Valorisation de l’achat pulsionnel, idéologie du consumérisme.

 L’art contemporain est le rêve éveillé d’un totalitarisme marchand : des cibles dressées pour apprécier du vide fabriqué à vil coût, des consommateurs émotifs et acritiques, infantilisés et flattés de confondre autocensure et tolérance.

 L’amateur d’art contemporain expérimenté s’est tant investi à trouver du sens au chaos qu’il s’est construit plus de croyances que de raisons et s’énerve tout rouge quand on critique sa foi. Si les réactions émotives type j’aime-j’aime pas sont bien acceptées, la critique argumentée des œuvres est sacrilège. Quelle faiblesse qu’un art qui souffre si peu qu’on le discute ?

 Au mieux trouve-t-on des prudentes interprétations distanciées de commentateurs révérencieux cherchant à faire catalogue, comme si l’âme était un bureau d’enregistrement.

 Si l’œuvre Guernica se critique bien, quel sens ! quelle unité du fond et de la forme ! que dire de certaines créations idiotes à mourir de rire ? Critiquer cette installation de gravats en mousse serait certainement remettre en cause l’art tout entier, être réactionnaire, étouffer la créativité des artistes, ma bonne dame.

La sacralisation de l’artiste

L’artiste en tant que personne on s’en fout, on fait caca pareil et c’est l’œuvre qui compte. Cette personnalisation / pipolisation qui bave jusqu’au politique est une victoire du marketing, du consumérisme et du spectacle qui fait que l’on parle davantage du phénomène et de l’emballage que du contenu. Pour masquer son vide ?

 Deleuze évoquait en 1977 le retour à une fonction-auteur qui prend beaucoup de place (évoquant le célèbre clown BHL et les nouveaux philosophes) :

 « (…) on essaie de dégager des fonctions créatrices qui ne passeraient plus par la fonction-auteur (en musique, en peinture, en audio-visuel, en cinéma, même en philosophie). Ce retour massif à un auteur ou à un sujet vide très vaniteux, et à des concepts sommaires stéréotypés, représente une force de réaction fâcheuse. »

La sacralisation de l’art

Comme si le travail de l’artiste n’était pas critiquable. D’où vient ce statut inattaquable de l’artiste ? L’art est-il sacré ? Qui sacre ?

La culture est le cadeau Bonux de la société de consommation

L’artiste doit être sacralisé, impénétrable et montré comme la pépite d’or d’une société de consommation qui produit des tonnes de merde. Comme une caution morale du système. Lequel l’engendre et le finance.

 Vous passez votre semaine de salarié à attendre et fantasmer votre week-end, votre vie grise à rembourser votre crédit, vous êtes les petites mains du capital mais regardez cet artiste si libre, célébré et si haut de vue que vous ne le comprenez pas ! Ce pourrait être vous (si vous n’aviez pas votre crédit à rembourser et étiez touché par la grâce, c’est très mystérieux l’art)… oui, ce pourrait être vous ! rêvez donc et voyez comme ce monde est aimable ! Une soupape pour les classes moyennes.

L’art contemporain est utile

Il n’est pas rare de voir des personnes s’intéresser à l’art contemporain par logique de classe. Cela permet de fréquenter des gens d’un certain milieu et de se distinguer des masses peu éduquées. L’art contemporain, sorte de rotary club ouvert aussi aux fauchés.

Personnellement, je vais souvent à des vernissages pour manger des chips gratos et draguer des jolies nanas ; je fais comme tout le monde, je ne porte aucune attention aux œuvres, de toute façon, c’est dehors que ça se passe.

Les employés de mairie rebelles

L’art contemporain plait à tous, sauf au public. Etrangement, peu de gens souhaitent acquérir des installations avec des caddies et des mannequins démembrés. C’est pourquoi il faut courir subventions et mécénats, préparer des dossiers, etc.

Quelle est l’indépendance d’un artiste occupé à bénéficier du soutien de BNP Paribas ou d’une mairie ?

Les étudiants en rebellitude

C’est un étudiant en arts de son temps, le beau est subjectif, dit-il, et d’argumenter longuement. D’où vient que sa copine est une bombasse (au sens classique) et pareil pour ses potes ; le beau subjectif, c’est que dans les musées ? L’art contemporain n’est pas le vrai de la vie ?

 L’esthétique est indiscutablement has-been et peut-être difficile à atteindre aussi, les professeurs l’enseignent, ce sont des professionnels de l’art.

La caricature de ce dogme motive une recherche laborieuse du laid, mais un laid esthétisé et poseur, avec des morceaux de cause sociale ou humanitaire dedans pour plaire aux bobos et tenter de délivrer un message au monde depuis son canapé Ikea.

Et puis le beau est toujours étrange, c’est très Baudelairien, c’est chic. Si on ne trouve rien, vingtenaire et les hormones en feu, on montrera du sexe, c’est terriblement subversif. A l’heure du porno en streaming, au XXIème siècle.

 Un formatage en réaction à un autre formatage. Un crucifix à l’envers, c’est encore un crucifix et l’Homme libre n’en porte pas.

Quand la merde déborde, c’est encore de la merde

La vision selon laquelle l’art serait trop élevé pour être accessible à un large public n’est pas élitiste mais oligarchique.

 Un petit groupe de prescripteurs de bon goût liés aux média, au pouvoir et aux milieux d’argents célèbre en rond les besoins maladifs de distinction de sa classe et une haine phobique du populaire.

 Il est absolument possible de créer des œuvres de qualité qui aient du style, un message et qui soient populaires. Penser à Chaplin ou Brassens. Et il est certes plus facile d’encenser un Delerm que d’engendrer un Brassens.

 L’art de briller en restant à sa place

L’art qui est expression d’une intelligence sensible et féconde éclate d’une supériorité immédiate, naturelle et aimable comme la liberté. Cet art qui ne s’achète pas est ennemi des pouvoirs et de l’argent.

 Celui qui adhère librement à l’œuvre d’un Brassens sort du pré clôturé des bourgeois et méprise bientôt les représentants sinistres d’un ordre mortifère, délégitimé. Le jour d’après, il questionne la valeur de son supérieur et n’accepte plus de hiérarchie. Au troisième jour, le pouvoir n’apparaît plus que comme un oppresseur incongru et les bourgeois dorment mal.

 Alors le pouvoir s’offre de l’art contemporain pour se faire belle. Ça ne coûte que de l’argent, ça fait croire aux illettrés qu’on sait lire et ça les distrait des mauvaises lectures.

Qu’une puissance d’argent ou une institution désigne un gagnant à sa loterie du bon goût et voici que ceux qui n’en ont pas se mettent à rêver d’en haut.

 L’admiration vulgaire pour l’art financier de Jeff Koons n’est qu’adoration de l’argent, cet instrument du pouvoir qui donne aux imbéciles un intérêt que leur esprit ne suscite pas.

 Brassens ou Koons, s’évader de prison par son esprit ou bien se faire promouvoir gardien. Instinct de liberté ou servitude de valet.

 L’art qui n’est pas dans le présent ne sera jamais

L’art représentatif de son temps complète de manière sensible l’Histoire. Cette époque est complètement nulle et bien représentée.

Le goût est le sourire de l'âme

Kundera et l’art enfant du rire de Dieu. Oui au surréalisme, merde au suprématisme. Le goût naturel est fondé sur les plaisirs.

Buren n’est qu’une anagramme.

 Ceux qui vénèrent l’impressionnisme comme contre-courant de l’art officiel devraient bien se rendre compte qu’un certain art contemporain est devenu le nouvel art officiel, célébré par et pour la classe dominante.

 Le contre-courant est spéculatif. Il n’y a plus de courant, que des vagues. Nous appellerons cet art de faire des vagues, art spéculatif et son écume vendable, l’art financier.

 De l’art subventionné, exposé ou acheté par l’Etat du vivant de l’artiste s’appelle de l’art officiel.

 L’art financier, c’est de l’art spéculatif qui a réussi.

 L’art officiel est toujours de l’art financier.

 L’art financier n’est pas toujours officiel.

 Les rebelles des écoles d’art rêvent de faire de l’art officiel, à condition qu’on ne l’appelle pas par son nom. Par défaut, ils spéculent.

La postérité, c’est faire des discours aux asticots

L’art des nostalgiques d’un siècle d’or fantasmé qui ne cherchent qu’à entrer dans l’Histoire en singeant des morts qui célébraient leurs vivants est mort-né. L’art doit être vivant.

 Un art qui prétend être contemporain doit être de notre temps. Ce temps est celui de la soumission ou de la révolte, ces deux grimaces de l’homme attaqué dans sa liberté et dont il faut faire le portrait. Ce temps est universel.

 La seule reconnaissance qu’un artiste doit attendre est celle de sa conscience.

 Un art qui ne vivrait pas sans la presse et sans la rumeur n’est que rumeur lui-même. Les musées d’art contemporain ne font qu’exposer les collections particulières des fonctionnaires diplômés chargés de choisir les objets de commérages qui entreront dans l’histoire.

 Une merde accrochée au mur d’un musée reste une merde.

 Une hallucination collective reste une hallucination.

Ebauche pour un Manifeste machin-truc

Démarche

L’artiste est un chercheur, sa première qualité et son devoir sont l’honnêteté intellectuelle et l’intégrité sans lesquelles il n’est pas de vérité décelable. La mystification de conneries pentasyllabiques avec des bouts de concepts tordus dedans qui sont la base nourricière de l’art spéculatif ne sont pas compatibles avec cette exigence d’intégrité. Exception faites des fous, qui sont toujours intéressants.

Nous sommes des artistes à temps partiel et nous vivons d’un travail alimentaire, l’indépendance est à ce prix. Nous voulons un art populaire porteur de sens, sincère et franc. Du vivant, c'est-à-dire du beau, du drôle, du sensible, du sens.

 Les seules raisons de vouloir être exposé en musée ou en galerie sont la reconnaissance sociale et l’argent, parce que ça aide à choper et manger mieux ; le reste n’est que vanité.

 Nous sommes contre l’art officiel ou spéculatif, contre le vedettariat et le fric.

 Nous prendrons l’argent et toute luxure qui viendra à nous, nous ne créerons rien dans ce but. Nos mœurs peuvent être corrompues, pas nos œuvres.

 Seule l’œuvre compte, la signature doit être discrète. Qui a besoin de son nom pour se distinguer n’a rien de distingué.

 Nous avons le devoir de critiquer l’art et nous recherchons la critique.

C’est beau

Le goût est fondé sur les plaisirs et le beau se suffit à lui-même. Un beau cul n’a jamais eu besoin de preuves.

 Un peintre doit savoir peindre, un dessinateur doit savoir dessiner, un sculpteur doit savoir sculpter. Le style de ceux qui ne savent pas dessiner les mains est toujours le style des mains dans les poches, celui des branleurs.

 Celui qui ne sait pas faire de musique ne devrait pas faire de bruit mais silence.

 L’art qui parlait de la mort de l’art était convaincant. L’art qui voulait voir dans une peinture tellement plus qu’une peinture est mort. Prenons acte du décès et créons autre chose, sans étiquette. S’il faut parler, écrivons des livres, s’il faut dessiner, dessinons bien. Nous sommes des artisans créateurs.

 Nous aimons la peinture, le dessin, art ou pas, nous aimons le beau, nous croyons à sa nécessité. Nous exposons dans des lieux de vie.

 Nous ne croyons pas que l’art soit sacré. Seule la vie l’est. Si l’art est une religion de païens avec ses textes ambigus qui font rêver, des papes, leur banque, et des gens qui y croient, alors ne nous voulons en être qu'à seule fin d’en tirer les avantages : argent, reconnaissance sociale, groupies nymphomanes.

Ça parle

L’art est un langage et nous cherchons de nouveaux mots pour créer des phrases qui aient un sens. Nous ne faisons pas de l’écriture automatique, nous ne sommes pas des automates.

 Quand on n’a rien à dire, on ferme sa gueule.

 Merde au relativisme, toutes les opinions ne se valent pas.

 Si tu as quelque chose à dire, sois clair et pertinent.

 Si tu n’as rien à dire, dédommage humblement le public de l’attention qu’il te porte en lui donnant du plaisir.

 Si tout a déjà été fait, trouve ton style.

 Si tu ne sais rien faire de tout ça, travaille encore.